« C’est un deuil. Je suis triste. Ça me fait un pincement au cœur. C’est comme laisser partir mon bébé, mais je vais penser à moi et, comme tout le monde le dit, c’est une retraite bien méritée » , a-t-elle confié.
C’est depuis sa tendre enfance que Gisèle Brodeur foule les planches du magasin. D’abord connu sous le nom Coupons Jacqueline, le commerce situé sur la rue des Cascades avait été mis sur pied par sa mère Léonne Lépine et sa sœur Jacqueline Brodeur.
« À l’époque, il n’y avait pas de garderie, alors nos parents devaient nous traîner partout. Ma tête arrivait à peine à la hauteur du comptoir où je mesurais des élastiques. Les clientes me disaient de ne pas trop tirer dessus pour avoir la bonne mesure », raconte-t-elle en riant de bon cœur.
En vieillissant, elle a continué à y travailler les fins de semaine, puis elle a commencé à assister sa sœur il y a maintenant 51 ans lorsque l’entreprise a déménagé dans l’ancien entrepôt de leur père, Paul Brodeur, sur la rue Raymond. C’est officiellement il y a 38 ans qu’elle a repris le flambeau en rachetant l’entreprise de sa sœur et en la renommant Brolem pour Brodeur et Lemoine, le nom de famille de son mari.
« Ce qui va me manquer le plus, c’est quand les représentants arrivent avec tous leurs tissus. J’aime toujours autant les sentir et les regarder », confie-t-elle avec émotions.
Mme Brodeur se dit particulièrement impressionnée par la qualité des motifs réalisés à l’ordinateur plutôt qu’à la main comme auparavant et par l’éclat des couleurs. Le commerce, qui est en fait un trois en un avec ses tissus pour les rideaux, les vêtements et le rembourrage, a d’ailleurs toujours voulu offrir des produits de qualité. « On ne veut pas que les clientes mettent beaucoup d’argent et de temps à coudre et qu’une fois le vêtement lavé, il ne fasse plus », explique-t-elle. En 50 ans, note-t-elle, les prix ont bondi de 0,99 $ à 25 $ le mètre pour le même tissu.
Néanmoins, la propriétaire avait toujours des tissus et des solutions pour tous les budgets. « Le service à la clientèle et l’honnêteté sont la force de notre commerce. J’aime beaucoup conseiller. Plus c’est complexe, plus ça me passionne. Je fais comme si c’était pour moi. Quand je magasinais un tissu, je pensais déjà à la cliente à qui j’allais le vendre. »
Parmi les anecdotes qui ont marqué son parcours, elle a déjà passé six mois à chercher une toile sur laquelle les employés de l’ancienne usine Damafro pourraient faire couler le fromage. Elle a aussi réussi à cacher un mur non fini du Centre de congrès à la demande de la Ville de Saint-Hyacinthe et a fourni plusieurs élastiques et autres produits à la Faculté de médecine vétérinaire.
Pour ses clientes, elle a participé à la création de cadeaux qui ont fait verser des larmes à plusieurs membres de leurs familles. Par exemple, une courtepointe avec des photos de la vie d’une future mariée, des sacs faits de vieux vêtements portés par les petits-enfants qui les recevaient et un cousin pour une grand-mère. Aussi, pendant la crise du verglas de 1998, certaines clientes venaient acheter des bobines de fil simplement pour jaser. Incluant sa sœur, le magasin maskoutain aura vu passer pas moins de quatre générations.
Adaée Beaulieu